La biologie végétale ne cesse d’observer depuis bientôt deux décennies des facultés surprenantes que l’on croyait réservées au monde animal. En effet, les plantes communiquent entre elles, élaborent des stratégies pour combattre des agresseurs, alertent leurs voisines en cas de danger et sont parcourues de signaux électriques mystérieux.
Les signaux chimiques comme moyen de communication et de coopération entre plantes
C’est dans les années 80 qu’un biologiste et un chimiste, Jack SCHULTZ et Ian BALDWIN, ont ouvert la voie grâce à leurs travaux publiés dans la très sérieuse revue scientifique « Science » [Baldwin 1983]. Les deux auteurs ont observé que de jeunes plants de peupliers et d’érable à sucre dont le feuillage était partiellement endommagé augmentaient leur concentration en composés phénoliques en 36-52 heures ainsi que les plants voisins en bon état.
Ainsi était mis en évidence pour la première fois qu’un signal aéroporté provenant de tissus d’une plante endommagée pouvait stimuler des changements biochimiques dans des individus avoisinants et ainsi influencer par exemple l’alimentation et la croissance d’insectes phytophages.
Les travaux du biologiste sud-africain Wouter VAN HOVEN dans les années 1990 ont mis à jour un mécanisme de défense mutualiste surprenant des acacias (Acacia drepanolobium Harms ex Y. Sjöstedt) de la réserve du Transvaal d’Afrique du Sud face au broutage excessif d’antilopes koudous. Suite à la mort inexpliquée de plus de 2000 de ces ruminants, ce chercheur de Pretoria mena une enquête scientifique qui mit en évidence dans un premier temps que la mortalité des antilopes était due à la présence de tanins à des teneurs anormalement élevées par rapport à celles habituellement rencontrées associée à une consommation importante de feuillage. En effet, certains tanins ingérés à forte dose peuvent présenter une toxicité digestive aigue chez les ruminants [Robbins, 1987]. La mise en place de défenses chimiques induites chez les végétaux (production d’alcaloïdes, de tanins et autres constituants nocifs pour les animaux) est un mécanisme bien connu mais la suite l’était moins.
La pleine compréhension est venue dans un deuxième temps lorsqu’il a été observé que les branches blessées par le passage des ruminants émettaient un composé organique volatil, l’éthylène. L’émission de celui-ci a pour effet de déclencher chez les acacias voisins une production de tanins avant même l’arrivée des koudous. Ainsi les acacias préviennent leurs voisins du danger qui actionnent en réponse leur système de défense [Van Hoven 1985, Van Hoven 1991].
La communication entre plantes peut aussi avoir lieu par voie souterraine. C’est le cas de la tomate avec la contribution d’un champignon racinaire avec lequel elle forme des mycorhizes. Lors d’une étude, après avoir planté des pieds de tomates deux par deux, le feuillage d’un des deux plants a été infecté par un champignon pathogène. Il a été constaté que le pied sain voisin se met à produire des enzymes de défense habituellement produites durant une attaque fongique. En revanche, si le réseau des champignons racinaires est absent ou qu’une paroi l’empêche de relier les deux plantes, les défenses de la tomate saine ne sont pas mobilisées [Song 2010].
Ainsi, des mécanismes de défense vis-à-vis de parasites ou de prédateurs peuvent être mis en place en réponse à des signaux émis par des plantes voisines attaquées avant même d’être elles-mêmes victimes d’une agression. Beaux exemples d’entraide et de relations de coopération entre végétaux !
Plusieurs travaux démontrent que de nombreuses plantes sont capables de reconnaître si leur voisin est de la même espèce et, de surcroit, si un lien de « parenté » existe (reconnaissance de parenté). Lors de la première étude du genre, menée en 2007, il a été mis en évidence que des plants de caquillier édentulé (Cakile edentula (Bigelow) Hook) poussant à côté de plants issus de graines d’un même individu produisaient au bout de 40 jours moins de racines que des paires de plants qui ne sont pas issus de graines d’un même individu, préférant ainsi investir leur énergie dans le développement de leur appareil reproducteur [Dudley 2007].
Un dernier et bel exemple qui peut être donné de coopération est celui du pin de l’Oregon (Pseudotsuga menziesii (Mirb.) Franco). L’équipe de l’écologue canadienne Suzanne Simard a enveloppé des branches de pins dans des sacs plastiques en présence de CO2 marqué au carbone 14. Elle a constaté qu’une partie de la radioactivité était transférée à de nombreux arbres alentour mais surtout que le transfert le plus important s’opérait entre les vieux arbres les plus volumineux et les jeunes poussant à leur pied, le plus souvent issus de leurs graines. Cette nourriture est transportée par les champignons du sol qui relient les racines des arbres entre elles (mycorhizes).
Les vieux arbres jouent ainsi le rôle de plaques tournantes, interconnectant tous les individus et distribuant les flux nutritifs, en particulier vers les plus jeunes [Simard, 2012].
Les signaux électriques comme moyen de communication au sein des plantes
Si on savait que les plantes ont une activité électrique, on a longtemps sous-estimé son importance. L’équipe dirigée par Edward FARMER de l’université de Lausanne s’est demandée « si ces signaux électriques générés quand on blesse la plante peuvent déclencher des mécanismes de défense » car les protéines de défense sont non seulement produites dans les parties attaquées mais aussi dans les parties saines de la plante. Grâce au modèle de l’arabette des dames (Arabidopsis thaliana (L.) Heynh.), l’équipe a réussi à identifier les gènes qui déclenchent le signal électrique et à vérifier le lien avec l’activation de protéines de défense loin de la blessure. Les résultats, publiés en 2013 dans la célèbre revue Nature, montrent que trois gènes GLR (glutamate receptor-like), semblables à ceux des animaux, sont impliqués dans ce processus électrophysiologique [Moussavi 2013].
FARMER explique que « ce qui est surprenant, c’est que ces gènes sont très similaires aux gènes activés dans les synapses rapides du cerveau humain, alors qu’une plante n’a aucun neurone. C’est très intrigant et stimulant ».
Les hypothèses se focalisent sur le système vasculaire de la plante, composé de phloème (tissu conducteur de la sève élaborée depuis la feuille vers le reste de la plante) et du xylème (tissu conducteur de la sève brute – eaux et sels minéraux – depuis les racines jusqu’au reste de la plante). Selon Farmer, « de nombreux chercheurs pensent que c’est l’un ou l’autre qui agit dans la transmission électrique, mon laboratoire pense que ces deux types de cellules travaillent ensemble pour l’envoi du signal. Mais on ne sait toujours pas qui fait quoi ».
Selon Francis BOUTEAU du laboratoire d’électrophysiologie des membranes (Sorbonne Paris Cité) « la communication électrique chez les plantes et la circulation de messages via les ondes de dépolarisation membranaire ont été mises en évidence il y a des années. Et l’on sait désormais qu’il y a chez les plantes des phénomènes d’exocytose et d’endocytose, soit d’expulsion et d’absorption membranaires de molécules, qui rappellent beaucoup les synapses nerveuses des animaux. Certes, les plantes n’ont ni neurones, ni synapses, ni organe qu’on puisse qualifier de cerveau ; chez elles, tout va bien plus lentement... mais on peut bel et bien parler de neurobiologie végétale ».
D’ailleurs, La présence de neuromédiateurs classiques dans le règne animal, impliqués dans de nombreuses fonctions tant au niveau du système nerveux central que périphérique, sérotonine (ou « phytosérotonine ») [Ramakrishna 2011], dopamine et glutamate, a été décrite dans les plantes. Leur rôle est de mieux en mieux connu [Roshchina 2010].
L’auxine, hormone végétale particulièrement importante, a même été comparée à un neurotransmetteur.
Didier GUÉDON, Expert au Comité français de la Pharmacopée
Bibliographie :
Baldwin IT, Schultz JC. Rapid changes in tree leaf chemistry induced by damage: evidence for communication between plants. Science 1983;221:277-9.
Dudley SA, File AL. Kin recognition in an annual plant. Biol Lett 2007;3:435–8.
Mousavi SA, Chauvin A, Pascaud F, Kellenberger S, Farmer EE. Glutamate receptor-like genes mediate leaf-to-leaf wound signalling. Nature 2013;500(7463):422-6.
Ramakrishna A, Giridhar P, Ravishankar GA. Phytoserotonin, a review. Plant Signal Behav 2011;6:800–9.
Robbins CT. Role of tannins in defending plants against ruminants: reduction in dry matter digestion? Ecology 1987;68:1606-15.
Roshchina VV. Evolutionary considerations of neurotransmitters in microbial, plant, and animal cells. In Microbial endocrinology. Lyte M et al. (Eds), p. 17-52, Springer 2010.
Simard SW, Beiler KJ, Bingham MA, Deslippe JR, Philip LJ, Teste FP. Mycorrhizal networks: mechanisms, ecology and modeling. Fungal Biol Rev 2012;26:39–60.
Song YY, Zeng RS, Xu JF, Li J, Shen X, Yihdego WG. Interplant communication of tomato plants through underground common mycorrhizal networks. PLoS One 2010; 5: e13324.
Van Hoven W. Mortalities in Kudu (Tragelaphus strepsiceros) populations related to chemical defence of trees. Rev Zool Afric 1991;105:141-5.
Van Hoven W. The tree’s secret weapon. South African panorama 1985;30:34-7.